DANS MA MAISON
Dans ma maison tu viendras.
Sur la table, il y a un livre de Prévert
Que tu feuilletteras.
On lira ensemble un poème qui dit
« Dans ma maison tu viendras ».
Il te fera rire.
J’aime ton rire.
C’est un oiseau qui pépie
Et tu es un oiseau gai,
Et comme tous les oiseaux gais
Tu as peur du noir.
Dans ma maison, tu n’as pas peur,
Il ne fait jamais noir,
Même quand il fait nuit.
C’est plein de couleurs chez moi.
Du bleu, du vert, du rouge,
Et maintenant ta tignasse rousse
Qui s’étale à côté de moi,
Sur le drap blanc de mon lit.
On a la nuit pour nos bouches,
Fontaines insatiables de vie.
On a la nuit pour nos sexes,
Puits de morts inassouvies.
On a la vie pour être les oiseaux de nuit de mon lit.
Dans ma maison tu viendras.
Sur la table, il y a un livre de Christian Bobin.
On lira ensemble son poème,
Celui qui parle de la langue mystérieuse des fleurs.
Il me laissera rêveur.
Dans ma maison, il y a plein de fleurs,
Et elles se mettent à te parler.
Jusque-là, elles s’étaient tues,
Leur silence figé dans la glace du passé.
Et maintenant elles se réveillent, confiantes.
La sève bat leurs tiges endormies
Leurs pistils s’engorgent de pollen
Et leurs corolles s’étalent au soleil.
Elles parlent la langue du monde qu’ignore la parole des hommes
Une langue vibrionnante et colorée.
Tu as réveillé un jardin enchanté
Dans ma maison.
Et maintenant, on a tout le jour, et tous les jours que le soleil fait,
Pour être les abeilles joyeuses et affamées de ce jardin désirant.
Dans ma maison, tu viendras.
Sur la table, il y a un livre sans auteur, ni titre.
Celui-là nous laissera graves.
Il est mystère.
Il est fragile.
Ses pages sont feuilles de verre très fin.
On ne les tourne qu’avec la caresse du souffle
Celui qu’on fait sur la tête d’un enfant
Pour remuer ses cheveux quand il dort
Sans le réveiller.
Et nous soufflerons tous les deux
Sur les pages de ce livre
En faisant très attention
A ne pas le briser.
C’est à moi d’y tracer les lettres enluminées
Des phrases qui y cherchent,
Inlassablement,
Le secret insaisissable de notre lien.
Et tu seras la voix qui dira mes phrases
De ta voix grave et sérieuse
Et ensorceleuse
Ta voix de chanteuse de jazz.
Tu chanteras mes phrases, jour après jour, nuit après nuit,
Dans ma maison silencieuse.
Dans ma maison,
Dans laquelle tu viendras.