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Roi de l'univers Misérable vermisseau
12 décembre 2022

LE PETIT CHAPERON VERT

Chene 1Il était une fois une petite fille qui s’habillait toujours en vert, Docs vertes, leggins verts, blouson vert et bandana vert. C’est pourquoi on l’appelait le Petit Chaperon Vert, mais pas devant elle, parce qu’elle considérait que les surnoms étaient des vecteurs d’aliénation identitaire. Elle vivait dans un quartier branché d’une ville gérée par une municipalité EELV pionnière qui avait installé des pistes cyclables partout. Notre petit Chaperon Vert était évidemment végan, donc pas question de lui faire apporter un petit pot de beurre à sa grand-mère. Elle pratiquait le Krav-Maga et d’autres techniques de women self-defense . « On va bien rigoler quand il va arriver dans l’histoire », disait-elle à ses amis sur sa boucle What’s App, en parlant du Grand Méchant Loup, et de l’amour en général. Bref, la vie était super-cool pour elle.

Mais un jour il advint ce que Pablo Servigne et d’autres collapsologues que personne n’écoutait avaient annoncé depuis longtemps : l’effondrement. Pénurie du pétrole et des ressources énergétiques, mise à l’arrêt des circuits de distribution entraînèrent en peu de temps une régression économique, sociale et politique qui bouleversa les modes de vie de chacun.

La petite ville dans laquelle vivait notre petit chaperon vert se révéla invivable, plus rien n’y permettait d’y subsister, et même d’y survivre : plus de possibilité de se nourrir, de se soigner, de communiquer. Petit chaperon vert mit dans son sac quelques barres de céréales, et décida de partir dans la forêt d’à-côté, la peur au ventre, parce qu’elle n’avait connu jusque-là que le bitume et l’air climatisé des magasins .

Elle remonta longtemps une voie verte qui devint peu à peu un chemin broussailleux et elle se retrouva soudain dans un cul-de-sac infranchissable, fait de ronces enchevêtrées et d’orties urticantes. Autour d’elle, c’était un silence inquiétant, et le soir commençait à tomber. Petit chaperon vert n’était pas rassurée du tout.

C’est alors qu’un air de musique reggae se fit entendre au loin puis se rapprocha : c’était Grand Méchant Loup qui arrivait là, avec sa Sound box. Il s’était installé dans cette forêt pour créer une ZAD contre un projet autoroutier. Il portait une salopette rouge assez dégueu, un bonnet rasta et fumait un truc qui ne sentait pas le tabac.

-      Alors gamine, t’es perdue ?

-      Et toi tu crois que t’es quoi pour me traiter de gamine ? Casse-toi, pauvre tâche !, lui répondit-elle

-      Calmos gamine, je ne te veux pas de mal, je suis un Grand méchant Loup déconstruit, et j’ai lu tout Gisèle Halimi

-      Ah ouais, et t’as lu « le deuxième sexe » de Simone de Beauvoir ?

-      Oui

-      Et « l’un est l’autre » d’Elisabeth Badinter ?

-      Oui

-      Et « Trouble dans le genre » de Butler, tu l’as lu aussi ?

-      Oui

-      Et Virginie Despentes ?

-      Oui

Bon, Grand méchant Loup venait de passer avec succès l’étape rituelle de l’épreuve. Et d’opposant, il était devenu même un adjuvant, dans ce conte non-binaire qui déconstruit lui aussi les rôles. Petit Chaperon vert se détendit.

Il reprit :

-      Tu vois, t’as rien à craindre de moi. Mais toi t’es mal barrée, t’as pas les habitus de l’endroit. Moi, si, alors laisse-moi t’apprendre et monte dans ma brouette.

Petit chaperon vert monta donc dans la brouette, et ils arrivèrent au pied d’un magnifique chêne, le plus haut de la forêt. Grand méchant Loup y avait construit une cabane merveilleuse, avec des panneaux photovoltaïques, un four solaire, un frigo du désert, des toilettes sèches, et un potager bio. C’était le règne du low tech et de la permaculture. Petit Chaperon vert apprit vite à vivre en autosuffisance dans cet environnement respectueux du Vivant. Et parfois, revenant d’une cueillette de mûres dans la forêt, elle s’amusait à en barbouiller les poils de grand méchant Loup, et ils riaient tous les deux. Et parfois encore, leurs rires s’arrêtaient, et retirant ses mains de sa fourrure, elle était prise d’une drôle d’émotion, et lui aussi.

Une nuit, ils furent réveillés par une odeur de brûlé. C’était la forêt qui brûlait, comme toutes les forêts de la Terre.  En fait, c’était la fin du monde.

Ils regardèrent les flammes s’approcher de leur chêne, en lécher le tronc. Elles renoncèrent à monter, et se faufilant telle une multitude de serpents crépitants et insatiables, elles partirent dévorer un peu plus loin le bois de saules roux. Là, elles se ravisèrent et revinrent au tronc du chêne, et, d’un coup, furent en haut sur la cabane. Grand méchant Loup et petit chaperon vert se serrèrent l’un contre l’autre, et leurs bouches s’unirent, et ils burent à grand traits à la fontaine merveilleuse et inépuisable de l’Amour, tandis que les flammes les entouraient comme les fées autour du berceau.

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