LEONARD DE VINCI La Cène, 1495-1498

« Jesus, ayant dit ces choses, troubla son esprit, et se déclara ouvertement en disant : Qu’un d’entre vous me trahira. Les disciples se regardaient donc l’un l’autre, ne sachant de qui il parlait » (Jean, XIII, 21-22)

A quoi bon le leur dire ? En vérité, vous m’avez tous trahi.

Evidemment toi, pauvre Judas, cette bourse et ses  30 pièces d’argent que tu serres dans ta main, pour te rassurer.  Ton baiser va me désigner aux  grands prêtres de Jérusalem, et à leur haine, mais je ne t’en veux pas : tu sacrifies ainsi l’homme qui me sert d’enveloppe charnelle et accomplis la Volonté de mon Père. Je te plains, Judas Iscariote, tu vas cheminer sur une sombre route dès que tu auras quitté cette pièce.

Pierre, mon roc impétueux,  tu as saisi ton couteau pour punir le coupable, et le saigner sur le champ, mais tu me renieras trois fois avant que ne chante le coq, la trouille au ventre.  J’ai prié pour toi, puisses-tu tomber du bon côté du crible où Satan te passe….

Et toi Thomas Didyme, jeune chien fou, les trous des cruels clous de la croix dans mes mains ne te convaincront pas, et, le soir, dans l’ombre de tes songes,  tu me blasphèmeras, comme un fils qui insulte son père.

Et toi Philippe, le timide, tu te lèves et tu protestes de ton innocence, mais nous savons tous les deux combien tu jalouses en secret, enfermé dans ton silence, celui que ma parole imprime dans les foules…

Et vous aussi, Jacques, André, Barthélémy, Thaddée, oui même toi, Jude Thaddée, mon demi-frère, tu m’as trahi   et je sais ta haine intime d’être moins aimé de Joseph qui nous a élevés ensemble.

Oui, vous m’avez tous trahi, pauvres humains car telle est votre nature : faible, sournoise, capricieuse, envieuse et orgueilleuse. Et vous fermez les yeux lorsque la lumière s’offre à vous, parce vous préférez vos ombres intérieures.

 Colgotha m’attend maintenant. Je suis prêt, Père, à accomplir ta Volonté.  Je me soumets sans La comprendre. Tel l’agneau sous le couteau du Sacrifice.

Juste encore une fois avant de te donner ma vie, Père. La bouche de Jean. M’enivrer à la fontaine de sa bouche.  Là, à ma droite, lui seul, il s’est écarté de moi. Il a fermé les yeux. Il sait que je vais partir. Lui aussi meurt déjà.

Une dernière fois.